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Thomas Agrinier : les grimaces de Lewis Caroll 

 

 

    Grimaçante, hurlante, il ne manque que le son pour ajouter à la peinture de Thomas Agrinier la dissonance voulue et ajouter à ses images cette  atmosphère acide que révèlent les toiles. 

 

«  Les situations représentées et les modes de représentation choisis évoquent souvent la perception du monde à travers les yeux d’un enfant.Je me place au niveau de l’enfance pour  montrer que le monde utopique que l’on décrit aux enfants pourrait être le point de convergence d’une Humanité qui se cherche. » 

 

Au pays des merveilles 

 

Enfance ? Peut-être, mais alors celle d’un gosse qui ne tient pas en place, gribouille et barbouille les pages de ses bandes dessinées, qui zappe frénétiquement d’un série de Starsky & Hutch à un dessin animé de Popeye, qui se réveille en pleine nuit d’un étrange cauchemar. Cet enfant, iconoclaste et boulimique, fouille dans les vieilles malles de la culture de ses aînés pour trouver un peu de tout. A la manière d'un Lewis Caroll, son pays des merveilles est le lieu de la contestation, par le biais de l’absurde, d’un certain ordre établi du monde réel. 

 

«  I eats my spinach » 

 

Le dessin animé de Popeye «  I eats my spinach » qui sert à la fois de titre à un tableau et à l’exposition actuelle de l’APACC de Montreuil, donne le ton de cette ambiance décalée et décapante. Popeye, personnage borgne, aux avant-bras sur-développés avec une ancre tatouée sur chacun, avec sa silhouette au menton proéminent et a la démarche caricaturale, n'a rien d'un héros modèle. Il a un tempérament colérique, naïf et jaloux.  Bel exemple pour la jeunesse ! Mais ce personnage grinçant a aussi un cœur et à défaut d’arguments plus policés, règle les problèmes des autres à coups de poings. 

Les tableaux de Thomas Agrinier eux aussi, pour nous imposer une autre vision du monde,  nous assènent quelques coups de poings sur la tête. A nous de supporter ce remède de cheval pour entrer dans cet univers où le réel est une fiction du réel, à coup de séries télé, de bandes dessinées, de films, d’images agressives et elles-mêmes agressées par le pinceau ou la main du peintre. 

 

Autodidacte, Thomas Agrinier vient d'un univers musical. J'entendrais bien devant ses tableaux un free jazz ou un acid rock, bref une musique sans repentir. 

 

Figuration grinçante 

 

L'histoire contemporaine nous a fait découvrir la Figuration narrative où Erró dévorait avec un appétit d'ogre toutes les images pour les restituer sur la toile. Plus tard la Figuration libre, avec le trait turbulent de Combas, héritait de la musique rock et des images de son temps. Thomas Agrinier, loin des écoles et des groupes, a ses propres repères. Cette figuration grinçante qu'il nous lance renouvelle, avec ce regard actuel, une peinture désobéissante, au rythme effréné. 

 

 

Claude Guibert  

Chroniques du chapeau noir en mars 2013 à propos de l’exposition «  I eats my spinach » à  l’Apacc (Montreuil). 

 

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      Les peintures de Thomas Agrinier, au premier regard, étonnent par leurs emprunts : des visages sortis de comics, des personnages de séries télévisées, un bestiaire qui rappelle le dessin animé classique, une esthétique kitsch et des allusions à Bacon. 

     Devant une toile le spectateur cherche d'abord des points d'ancrage; des détails qui semblent fixes, sur les quels le regard va pouvoir s'arrêter, et puis, après quelques  instants, devant les coulures, les éclaboussures, les éclats colorés - il croit entendre le Splatch de la couleur qui s"écrase à grande vitesse sur la toile! - tout cela lui donne le tournis, il n'éprouve plus que vertige. 

   Si le peintre représente un musicien; la violence  des éclats de couleurs correspond au gong des cymbales. S'il représente Picasso, le vieux magicien aurait reçu en pleine face une portion de potiron qui lui donne un sourire énorme. 

     Thomas Agrinier réinvente le métier de peintre pour glorifier des particules en mouvement. Chaque toile est balayée par un vent violent, par un tourbillon d'énergie primitive. Peinture qui annonce, par son souffle puissant une nouvelle modernité.  

A suivre... 

 

 

Paul Giraud 

2012 

       La peinture de Thomas Agrinier pourrait se nourrir de tous les sujets, comme elle se nourrit de toutes les techniques. Pourtant, mû par un objectif précis, le peintre restreint sa composition à un huis-clos essentiel : un cadre naturel et trois protagonistes en conflit. Ce pourrait être la trame d’un roman moderne, c’est la partition visuelle d’une épopée qui se lit dans le mouvement performatif de ses formes. Éclats, flux et pulvérisation racontent l’incroyable métamorphose du vivant et la permanence de l’esprit qui le voit.  

 

Hervé Ic 

 

 

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   Shebam ! Pow ! Blop ! Wizz : comme à l’écoute de la chanson Comic Strip, écrite par Serge Gainsbourg il y a tout juste un demi-siècle, à la vue des peintures de Thomas Agrinier l’esprit bondit, le cœur se trémousse, un souffle joyeux irradie l’espace du regard. Éclaboussures rose malabar, constellations de taches turquoise, empreintes de doigt immaculées, traces dynamiques, effets fluides ici, cotonneux là, irisations subtiles, harmonies intenses : ces images palpitent. Des gestes puissants, campés dans des compositions géométriques savantes, incarnent des situations ambigües, fondamentalement vives. Elles se déroulent dans des ambiances d’aurore ou de crépuscule, générant des dégradés et des variations colorées enchantées, baignées des lueurs électriques, évoquant un monde urbain – piqueté de stations-service et d’hyper-marchés - et cependant sauvage. 

 

 

   Face aux effets de damiers et d’arc-en-ciel qui font ici chanter la polychromie, aux systèmes subtils de juxtaposition et de superpositions des couleurs, l’esprit s’enthousiasme. « Travailler des transparences entre différentes choses, pour arriver à ce qu’on ne sache pas s’il s’agit d’un extérieur ou d’un intérieur » : le bal des formes génère lui aussi des impressions d’épiphanie et d’apparition : une flaque se fait pieuvre, une chevelure, anémone, les métamorphoses abondent, dans cet univers peuplé de formes souples, qui narguent l’apesanteur. Elles dialoguent avec des modules graphiques géométriques, installant des repères fixes, qui donnent aux compositions une stabilité impressionnante. « À la fois le calme et la tempête, ça, ça me plait… » S’il est ici question du chaos, il s’agit aussi, magistralement, de son orchestration. 

 

 

   La peinture des autres ? Thomas Agrinier la dévore dans les livres, sur son ordinateur et dans les expositions, particulièrement intéressé par la figuration luminescente, fluide et onctueuse de Chris Offili, de Peter Doig, de Richard Prince ou de George Condo. Il se nourrit surtout d’images cinématographiques capturées ou de photographies trouvées. Il en transforme les mouvements en dessins, qui se succèdent en abîme jusqu’à ce qu’une figure inédite s’impose. La casquette d’un ouvrier russe, la course d’un enfant, la silhouette de Gena Rowland, dans le film de John Casavettes Une femme sous influence (1974), et voilà que la toile Cache-cache surgit, par exemple, en 2011. « L’Internet et Photoshop amènent à réfléchir autrement. Le collage, c’est presque la norme. » 

 

 

   « Une sorte de simplicité arrive, que j’ai envie d’exploiter », dit encore l’artiste, né à Lyon en 1976, et devenu parisien deux ans plus tard. Ancien guitariste et compositeur, branché hip hop et jazz, depuis une dizaine d’années il se consacre entièrement à la peinture, pratiquée en autodidacte depuis l’âge de dix-neuf ans. C’est à force d’expérimentations, de collages de gommettes par exemple, qu’il a conçu une manière picturale inédite, renouvelant profondément l’aventure de la Figuration. En multipliant les couches, en les essuyant à la main, en cuisinant la matière de chaque toile un mois durant, en jouant « du graphique et de l’organique » jusqu’à ce que « l’illusion d’optique » fonctionne à merveille, il parvient à ce que «l’oeil se promène bien, à condition que l’intention première soit toujours là ». 

 

 

   Parcours ? Une expo dans l’atelier d’une amie peintre en 2008, le Salon de Montrouge un an plus tard, le soutien sans faille de son directeur d’alors, Stéphane Corréard, et d’un collectionneur rencontré en 2009, Georges Maisonneuve, et tout a démarré. Depuis, les expositions se sont multipliées à Paris et à Leipzig, en particulier grâce à la Galerie Estace. 

 

 

  Objectif ? Passer un message « sans qu’on parvienne à mettre des mots » ! Agir en peintre : matières, couleurs, formes et compositions lui suffisent, pour transmettre une vision inspirée du monde actuel. « Toujours faire quelque chose de positif, quelque chose qui donne envie… Montrer les enfants que nous sommes restés. » Et aussi, « toucher à l’essentiel. Aux rapports entre les individus, à l’interaction. À la pureté des rapports francs et sincères. Et en même temps, à l’ironie liée à la société. Deux personnages qui se serrent la main, je trouve cela intéressant. » Voire, essentiel. 

 


 

Françoise Monnin 

Les propos de l’artiste ont été recueillis dans son atelier au 100 rue de Charenton à Paris entre 2011 et 2017.